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Ne pas occulter la dimension criminelle de la crise financière

TRIBUNE - Jean-François Gayraud, commissaire divisionnaire de la police nationale, et Noël Pons, conseiller au Service central de prévention de la corruption, établissent un lien entre criminalité et crise financière.

Personne ne conteste à la crise du subprime une dimension à la fois structurelle (l'orgie de crédit) et conjoncturelle (l'éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis). Cependant, nul n'a semblé voir les aspects criminels de cette crise financière globalisée. Un oubli étonnant car l'histoire nous enseigne que toutes les crises financières «recèlent» une dimension criminelle. Soit par l'immixtion du crime organisé, soit par la répétition d'opérations criminelles commises par les acteurs normaux des marchés ; et parfois aussi par l'association de ces deux univers. Dans notre propos, nulle volonté de réduire une crise systémique à du gangstérisme ou de débusquer d'improbables boucs émissaires, mais le souci de rappeler que le crime - organisé ou non - s'infiltre partout où l'argent règne, y compris sur les marchés financiers.

Le crime accompagne, amplifie et parfois provoque les crises financières. D'ailleurs, comment ne pas être troublé par l'étrange alerte publique que lança, en mai 2008, le ministre de la Justice américain, Michael Mukasey, sur la menace grandissante pour la sécurité nationale représentée par la «pénétration des marchés par le crime organisé» ?

Tout le monde ou presque semble avoir occulté le fait que le monde occidental avait déjà vécu dans les années 1980-1990 deux grandes crises financières à forte «odeur criminelle», dans un contexte également de prêts immobiliers inconséquents et de dérégulation des marchés.

Il y eut d'abord la faillite des caisses d'épargne et de crédit immobilier (Savings and Loans) dans les années 1980, aux États-Unis, l'un des pires désastres financiers du XXe siècle. Son coût pour le contribuable américain fut estimé à près de 500 milliards de dollars, en incluant les intérêts. Si le gouvernement fédéral n'était pas intervenu, le cœur même de l'économie américaine aurait été mis en danger et, par contagion, une partie de l'économie mondiale.

L'épicentre du désastre avait pour origine des fraudes criminelles de grande ampleur, menées par des cadres de ces caisses d'épargne et des bénéficiaires extérieurs, parfois même des mafieux avérés. 70 % à 80 % des faillites de ces caisses d'épargne furent dues à une activité criminelle.

Au même moment, le Japon vit une crise comparable dont le pays n'est toujours pas guéri. Dans un contexte d'argent facile et de dérégulation, les banques prêtent de manière inconsidérée à des sociétés et à des entrepreneurs «en odeur de Yakuza», la mafia japonaise. Lorsque les bulles bancaires et immobilières éclatent, le système financier japonais se retrouve exsangue, piégé par des masses de prêts irrécouvrables, estimés en 1998 à 600 milliards de dollars. Dans 30 % à 40 % des cas, ces «créances douteuses» s'avèrent être en fait des «créances mafieuses», donc impossibles à recouvrer.

La crise du subprime s'amorce probablement avec la multiplication de prêts immobiliers à des bénéficiaires dans l'incapacité de rembourser. D'abord, des montages primaires affectant la qualité des prêts seront mis en évidence. La seconde période (titrisation et dérivés d'assurances) enfante des montages alambiqués, toujours causés par l'attrait des bonus et par la complexité même des opérations. Les fraudes changent de nature, les conflits d'intérêts entre agences de notation et banques, banques et assureurs, se multiplient au gré des évaluations et des contrats. Surtout, les créances gênantes quittent les bilans. De véritables «usines à gaz» dans lesquelles le fictif a été agrégé au réel sont montées. Au moment du décompte final, les pertes doivent être régularisées : les bilans manipulés et les annonces de situation falsifiées. Le spectre d'Enron ressurgit !

La troisième période, celle du passage par les hedges funds et les banques d'affaires, voit la crise du subprime s'amplifier et éclater lorsque les produits toxiques sont diffusés mondialement.

Une spéculation effrénée génère d'autres types de montage : le blanchiment, du fait de l'omniprésence de structures installées dans des paradis fiscaux, et de la totale absence de transparence qui y règne ; la manipulation d'informations afin de créer un appel d'investisseurs nouveaux qui nourriront la machine alors que la situation est dégradée. Ensuite, la spéculation boursière de type «bouilloire» (prises de position rampantes, late-trading, écrêtage et tant d'autres montages). Enfin, les délits d'initié qui peuvent survenir lors des recapitalisations des institutions bancaires, parabancaires ou d'assurances en utilisant les ventes à découvert. Et, pour terminer, les jeux destinés à «aider» la chute de concurrents en faisant baisser artificiellement les cours, ce qui crée des problèmes graves à la collectivité. Pour conclure, rappelons une réplique célèbre du film L'Arnaque : «À quoi bon faisander si les honnêtes gens en font autant ?»

Ne pas occulter la dimension criminelle de la crise financière

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3 commentaires
  • dominiqueB001

    le

    Votre article est très pertinent come l'a souligné Jean-Paul des F. et l'analyse des mécanismes financiers correspond à la réalité. Mais tout ce système n'a pu se développer qu'avec l'assentiment des gouvernements qui n'ont pas joué leur rôle de régulateur. Depuis des décénnies les crises financières ne se régulent que par d'autres crises, et les gouvernements n'interviennent que lorsque l'on est au bord de l'explosion en faisant appel aux fonds publics. Assez d'irresponsabilités et d'hypocrisie chez les politiciens! Ils étaient pourtant prévenus; depuis plus d'un an des scientifiques et des chercheurs travaillant sur le sujet avaient programmé cette crise. Jeme souviens de l'éditorial du patron de la Tribune, de début 2208, qui fustigeait les banquiers pour leur gérence absurde.

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